En affirmant vouloir faire Nantes « en commun », on affirme notre refus que Nantes se fasse sans nous. On revendique une ville faite par et pour ses habitants. Cette revendication simple est, pour l’instant, loin d’être satisfaite.
D’abord parce qu’un grand nombre de politiques municipales sont précisément orientées vers ceux qui n’habitent pas (encore) à Nantes. Que ce soit pour attirer de nouveaux habitants, ou tout simplement pour attirer des investissements (par exemple des entreprises qui vont ouvrir des bureaux à Nantes). On peut se dire que cela ne pose pas de problème : au contraire, cette politique favorise le développement de la ville.
Cela pose néanmoins deux gros problèmes. D’une part, parce que cette « attractivité » ne consiste pas à attirer n’importe qui. Malheureusement, l’attraction à Nantes de personnes qui occupent plutôt des emplois de cadres, ont plutôt de hauts revenus et viennent plutôt d’autres métropoles françaises, implique de faire de la place.
Parfois, cela se fait de manière presque douce. De nouveaux immeubles sont construits en lieu et place de friches, puis, petit à petit, le quartier change de visage. Les prix montent, les moins fortunés n’ont les plus les moyens de se loger dans le quartier, les commerces montent leurs prix, changent de propriétaires. Ce phénomène est connu sous le terme de « gentrification ». Elle implique, au bout de quelques années, le départ de tout ou partie des habitants du quartier. Un quartier qui était « populaire » mais qui devient trop cher pour la plupart d’entre nous. On cite fréquemment en exemple l’île de Nantes comme un bel exemple de « gentrification réussie », une réussite au goût malheureusement amer.
Certaines fois, cette « gentrification » n’est pas du tout douce. Elle ne s’étale pas tranquillement sur une vingtaine d’années, et montre un visage particulièrement violent. L’attractivité implique d’expulser manu militari les habitants de maisons ou d’immeubles voués à la destruction. Ces habitants se voient alors proposer des solutions de relogement ailleurs. Dans un immeuble proche, parfois. Mais aussi à Blain, à Redon, voire à Chateaubriant. Ces personnes n’ont pas le choix de quitter leur logement. C’est ce qui est en train d’arriver aux habitants du quartier de la Bernardière, dans le cadre du projet du Grand Bellevue. Ce qui est arrivé, auparavant, dans le quartier Pitre-Chevalier.
D’une main on attire, de l’autre on repousse : on prétend faire une meilleure Nantes en changeant sa population. Trop de pauvres, pas assez de riches : plutôt que d’essayer de changer la situation des gens, on change les gens. Et les plus pauvres sont gentiment priés d’aller trouver du boulot à Chateaubriant.
D’autre part, et c’est l’autre gros problème que pose cette politique d’attractivité, c’est qu’elle n’est pas franchement choisie ni mise en œuvre par (ni non plus avec) les habitants. Elle fait intervenir deux acteurs, qui, main dans la main, bâtissent une ville attractive. Ensemble, ils inventent « la ville de demain » en détruisant la ville d’aujourd’hui. Ces deux acteurs sont les élus de la majorité municipale (PCF-PS-EELV-LREM), emmenés par Johanna Rolland, et les promoteurs immobiliers, emmenés par quelques entreprises emblématiques (Bouygues, Réalités, BNP Real Estate,…) et une poignée de stars locales (Kita,…).
Ces gens sont en désaccord sur certains projets, mais en accord sur l’essentiel. Il faut que Nantes se développe, qu’elle croisse, qu’elle attire, et tout cela doit se faire de la meilleure manière possible, c’est-à-dire : par eux. Les habitants peuvent être consultés (rapidement), donner leur avis (sur les questions qu’on leur pose), écoutés (lorsqu’on peut les contenter sans remettre en cause les « projets »), mais, de toute façon, ils ne sont ni la cible principale des décisions, ni les principaux décideurs. La cible, ce sont ceux qui ont les moyens d’investir. Les décideurs, ce sont qui ont les moyens d’attirer les investisseurs.
À vrai dire, cela ne nous choque même plus, et nous ne voulons pas les blâmer pour ce choix : c’est comme ça que ça passe dans pas mal de villes, dans « les villes qui réussissent ».
Nous ne voulons pas blâmer les élus, ni les promoteurs, parce que nous avons pris l’habitude d’être des consommateurs de la ville. Nous consommons le logement d’immeubles construits par des promoteurs, les services de la mairie, etc. On laisse faire, parce qu’on ne voit pas vraiment d’alternative, qu’on pense que c’est normal. On ne voit pas bien comment on pourrait « faire la ville » nous-mêmes, en prendre soin, la ménager. On s’imagine le chaos, ou, plus probablement, rien du tout, tant cette perspective semble lointaine.
Au nom de la compétition des grandes villes, au nom de l’emploi et de la croissance, promoteurs et élus façonnent notre ville à notre place et, au nom de la routine et du confort, nous les laissons faire. Ceci explique en grande partie pourquoi ils n’hésitent pas à faire de la place, si besoin en nous demandant d’aller vivre ailleurs.
Ce n’est pas par inhumanité qu’ils le font, il ne s’agit pas ici de désigner des monstres à la vindicte. Dans la plupart des cas, ils le font par croyance, car ils pensent sincèrement que c’est bien, sans se soucier des conséquences dans la vie des femmes et des hommes qui vivent la ville au quotidien.
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