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L’Agence Régionale de Santé des Pays de la Loire recrute des centaines de bénévoles pour confectionner des “tabliers de protection” à Nantes. L’objectif est de créer 1 million de surblouses en 1 mois. 

Voilà où nous sommes rendus en France, dans nos régions, nos départements, nos communes : à demander à des citoyens de confectionner des surblouses pour nos soignants. Il y a quelques jours, une infirmière au CHU de Nantes implorait ses amis Facebook pour avoir des protections pour son unité de Covid-19. Elle précisait même « sacs poubelles de 160 litres acceptés » (sic). Les soignants du CHU de Nantes sont tributaires, comme les soignants dans tous nos territoires, de la générosité des restaurateurs pour leur nourriture, de celle des citoyens et entreprises pour leurs protections de travail : sur-blouses, gants, masques, … La course à la solidarité va jusqu’à l’écœurement. Certains ne veulent même plus applaudir à leurs fenêtres pour ne pas être complices de cette mascarade. D’autres préfèrent manifester plutôt qu’applaudir (Medmed à Pirmil). Les témoignages de couturières bénévoles se multiplient sur les réseaux. 

“Elles se sont assises derrière leur machine pendant des heures, mis leur famille de côté pendant ce temps là, elles ont pioché dans leurs tissus, dans leurs élastiques, dans leurs fils, elles ont utilisé leur électricité et elles ont produit des masques pour les soignants qui en avaient bien besoin (…)  L’hôpital de Lille a aménagé toute une partie d’un bâtiment pour accueillir les couturières qui leur sont indispensables. Mon amie racontait qu’elles étaient environ 40 couturières à venir quotidiennement pour coudre bénévolement, car après les masques, ce sont les surblouses dont les soignants manquent.”

http://%28https//www.facebook.com/valentine.daquai/posts/10157576996924032

La mobilisation pour confectionner des protections pour le personnel soignant à Nantes est extraordinaire, bravo à l’association les Femmes en fil, Casse ta Routine ou encore Couturier.e.s solidaires et plus globalement toutes ces personnes qui seules, cousent pour les autres. Bravo pour leur formidable initiative et l’élan de solidarité qu’elle a suscité dans toute la ville. Cette mobilisation soulève en revanche une question : est-ce raisonnable de faire la manche pour l’hôpital public parce qu’on l’a dépecé ? Si le budget de l’hôpital public fond à vue d’œil d’année en année, vers quelles politiques publiques partent nos impôts ? Le bénévolat admiré de nos couturiers et couturières doit-il se muer en système d’Etat ? Pour pallier la faillite de l’Etat par le travail gratuit au nom d’une solidarité collective ? 

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La disparition de l’État est flagrante et nous saute aux yeux pendant cette crise sanitaire. On nous vante même le don au détriment de l’impôt.

Pour le déconfinement, on nous parle de la réouverture des écoles : Voyez avec les collectivités locales, les directeurs et les proviseurs ! On nous parle de masques ? Voyez avec les régions, les département et les communes. ! Le salut, dans cette crise, sera venu de la société civile, des professionnels restaurés dans leur dignité et des élus locaux qui auront par ailleurs payé un lourd tribut au maintien du premier tour des élections.

Cette crise nous révèle la faiblesse de l’État qui se retrouve nu, et à qui il ne semble rester rien d’autre que sa police, le monopole de la violence légitime. Le paradoxe de ces appels aux dons et au bénévolat est que tout notre système repose sur les échanges marchands et la marchandisation du monde. Le bénévolat est même illégal dans bien des activités professionnelles et aujourd’hui il devient une injonction, tandis que toutes les autres contraintes et dérives de notre système perdurent — les plus riches continuent à s’en mettre plein les poches même pendant la crise, l’État va durcir les conditions de travail pour faire repartir à tout prix l’économie… Une fois de plus, cette annonce de l’ARS montre que le marché — et sa théorie qui veut que nous sommes des individus qui n’agissent qu’en fonction de leur intérêt, calculé froidement — a failli et ne peut rien sans l’action désintéressée des personnes.

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Pauline Castel