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Dans chacun de ses discours, la majorité se gargarise de l’attractivité de la ville, de rénover ou construire des quartiers « attractifs », de concevoir des grands projets qui feront de Nantes une ville attractive, toujours plus attractive. Le mot inonde les discours et les documents officiels de la ville et de la métropole, à tel point qu’on ne sait plus bien de quoi on parle.

Mais quel est ce dieu mystérieux qui rend Nantes si attractive ? Quels sont les atours magiques dont la belle endormie se serait parée pour séduire par-delà les Pays de la Loire ? 

Lors d’un débat sur la ville, Bassem Asseh, adjoint à la maire au dialogue citoyen, a tenté une explication : il nous a parlé d’un processus naturel, d’une tendance « anthropologique » à un mouvement des populations vers l’ouest.[1] L’attractivité serait-elle donc un phénomène naturel que vivent toutes les grandes villes françaises ? 

Bassem Asseh semble oublier que Nantes, comme les autres villes, dépense des millions chaque année dans le marketing territorial pour jouer des coudes dans la grande compétition entre les métropoles du monde entier. Cette compétition fait de la ville une marchandise à vendre à des consommateurs pour qu’ils viennent dépenser leur argent chez nous. 

On en veut pour preuve les millions dépensés chaque année depuis des dizaines d’années. Sous Jean-Marc Ayrault, il y avait  le fameux “effet côte ouest”, concept marketing décliné sur une multitude de supports publicitaires. Aujourd’hui, partout dans la ville, on trouve de la publicité pour nous vendre Nantes. D’abord à nous-mêmes, Nantaises et Nantais, et puis à Paris où le métro arbore fréquemment des séries de panneaux publicitaires vantant la cité des Ducs. Mais aussi ailleurs, dans d’autres villes, en France ou à l’étranger. On retrouve par exemple des publicités pour le Voyage à Nantes jusqu’en Espagne ou au Portugal – le Voyage à Nantes, dont un des objectifs principaux est de contribuer à l’attractivité de la ville, dixit le rapport d’activité du Voyage à Nantes de 2017. 

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Les grands projets, souvent inutiles, se font aussi au nom de l’attractivité, en faisant fi des conséquences écologiques et sociales. Le futur CHU ? Pour l’attractivité, nous répond-on. Le Voyage à Nantes ? Pour l’attractivité. L’arbre aux hérons ? Pour l’attractivité. Feu le Yello Park ou le double-stade ? Pour l’attractivité. Même la politique relative au sport de haut niveau se fait au nom de l’attractivité ! 

Et puis, il y a la publicité que l’on ne voit pas. Celle qui est faite auprès des entreprises, des investisseurs pour qu’ils investissent leurs millions chez nous plutôt qu’ailleurs. C’est notamment la mission de l’agence Nantes – Saint-Nazaire développement qui aide les entreprises à venir s’installer sur “la terre des audacieux”, en faisant du “marketing territorial” et de la “promotion du territoire” pour “capter les entreprises à forte valeur ajoutée”. Cette agence coûte 3 millions chaque année à la métropole. 

Alors, non, l’attractivité nantaise n’est pas naturelle. À force d’assenner que Nantes est attractive, on en oublie l’action des élus et des politiques publiques. On en oublie les millions dépensés chaque année, les innombrables brochures de communication, les panneaux publicitaires et les discours ronronnant qui fabriquent le récit nantais. Même les élus finissent par croire que Nantes est naturellement attractive et disent gérer les conséquences d’une attractivité dont ils sont à l’origine  en fait : pour répondre au flux de nouveaux arrivant, il faut construire de façon effrénée, développer les transports en commun, construire des écoles… Et cela sans voir qu’ils sont en fait à l’origine de conséquences bien plus délétères pour Nantes : gentrification, exclusion croissante des plus pauvres du centre-ville, pollution, métamorphose des quartiers à coups de béton, etc., etc.

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Derrière l’attractivité il y a bien une volonté politique, celle de faire grossir la ville et d’en faire une métropole de rang européen. L’attractivité suit l’idéologie de la croissance. Pour faire augmenter le nombre d’habitants, il faut augmenter l’accumulation de capitaux dans la ville : attirer des investisseurs qui investissent dans l’immobilier, en construisant principalement des locaux pour les entreprises. Entreprises qui vont choisir Nantes parce que le prix du mètre carré sera attrayant (puisque l’on maintient une offre supérieure à la demande). Et qui dit entreprises qui s’installent, dit emplois. Et comme la main d’oeuvre nantaise ne suffit pas et que les personnes au chômage à Nantes ne correspondent bien souvent pas aux profils recherchés, il faut attirer une main d’oeuvre qualifiée qui, en venant s’installer à Nantes va consommer, mais aussi contribuer, parfois malgré elle, à l’embourgeoisement, la gentrification de la ville. CQFD.  

Non l’attractivité n’est pas naturelle. Nos élu·e·s, de gauche comme de droite, qui parlent d’attractivité à longueur de journée comme d’une loi naturelle sont en fait en proie à un phénomène de fétichisation.  

Un fétiche, c’est quelque chose que l’on a produit activement, le produit d’une action humaine, auquel on croit si fort que l’on finit par croire qu’il est naturel et qu’il a une volonté propre. On  oublie que l’on a créé l’attractivité et on fait comme si elle était vivante, comme si elle avait sa logique interne. On en fait une loi naturelle, des principes que l’on est forcé de suivre. C’est précisément ce que nous laisse entendre le discours de la majorité : l’attractivité est là, on est obligé de poursuivre, de gérer les retombées… Alors qu’elle n’est autre que l’œuvre humaine. 

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Le problème des fétiches, c’est qu’ils sont dangereux : le fétiche est une idée qui renverse la réalité. Les acteurs ne visent plus des objectifs propres, mais un objectif transcendant. Pire, ils ne se rendent plus comptent qu’ils agissent. 

Souvenons-nous de l’île de Pâques, où le peuple de l’île fétichisait d’immenses statues, leurs idoles. Ils vénéraient ces statues qu’ils avaient eux-mêmes construites comme des divinités avec leurs propres intentions. Afin de construire ces statues et de les déplacer sur des rondins de bois, les habitants de l’île ont détruit leurs forêts et, in fine, leur propre civilisation. 

Leurs statues ce sont nos grands projets. Leurs forêts sont nos ressources naturelles.

Mais la bonne nouvelle, c’est que si l’attractivité est l’oeuvre humaine, si c’est quelque chose que nous avons créé, alors nous pouvons le modifier, voire y mettre un terme. 

C’est là que l’histoire de Nantes en commun peut commencer.