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Quelque part entre le seul contre tous et la culture commune, pour réfléchir à ce que les crises font à l’Ecole. Ce lieu commun. Cet espace qui serait là pour qu’on y construise nos libertés. Un peu de « je », beaucoup de « nous ».

Episode 2 : Les emplois du Temps. 

Pour résumer : #encemoment chez nous l’Ecole, l’élasticité inhabituelle du temps fiche pas mal de choses en l’air. Pas d’espace, donc syndrome de Lagardère. Qui donc ? Un chevalier à perruque dans « Le Bossu ». Les adultes à l’Ecole ont la ref’, enfin pour beaucoup ils ont juste la petite phrase parce que ça permet de comprendre ce que disent les autres adultes aux informations. 

Donc « si tu ne vas pas à l’Ecole, l’Ecole ira à toi ». Et voilà chaque élève abonné·e automatiquement à la classe à distance. « Et puis le reste ben on verra, mais on était prêts, si si » aurait avancé la Maison-mè…le Ministère, pardon. Tout est fort bien résumé par cet intelligent montage, qui semble proche de la vérité. Et si ce n’est pas le cas tant mieux. C’est rassurant de se dire que c’est possible de continuer à recevoir un peu d’Ecole, pour ce qu’elle a de bénéfique pour beaucoup de nos jeunes caboches à nous qu’on a. Aller à l’Ecole, quand ça va bien, c’est du fun. Et pas qu’à la récré. C’est du curieux, du passionnant, d’la balle. 

Quand ça va bien, qu’on est serein·e. Qu’on sait qu’on a le temps. 

*

Mais #encemoment tout a foutu le camp. Le temps ne suspend plus rien du tout, c’est la connexion permanente, la fausse distance, plus de AFK* possible.

Nos journées d’enseignant·e commencent, se ponctuent et s’achèvent (si elles s’achèvent) par une relève incessante et angoissante de courriels, qu’il faut en plus aller pêcher sur différents canaux de communications dont les plus officiels nous fliquent. Oui, les plate-formes dites « Environnement Numérique de Travail » et qui permettent aux uns et aux autres, familles, supérieurs hiérarchiques, de savoir si le courriel a justement été relevé. Longue phrase. Longues journées. J’écris ton nom, notification. Voir je te sens te graver doucement sur la peau de mon front, à la manière de la punition que reçoit d’une directrice sadique l’écolier-sorcier le plus célèbre de son temps.  

Pour peu qu’on essaye aussi de rendre service aux copin·e·s dont les enfants galèrent dans nos matières (et c’est pas juste)…Il faut encore concocter, imprimer à ses frais, scanner, feuilleter, corriger, ne pas oublier de sourire…

Et désormais c’est connu, documenté, martelé-à-la-télé : les foyers, des plus solides aux plus fracturés par la vie, sont eux aussi victimes de l’onde sismique en continu. Parce que les conditions n’y sont pas, que les parents c’est pas les profs, qu’il n’y a pas partout de la place, plusieurs ordi’, une connexion internet idoine, et je dois aider ma petite sœur à faire ses devoirs, parce que Maman est partie au travail, mais j’y comprends rien…Impossible à résumer, on y reviendra. 

Bref…Alors on essaye de joindre la prof’, on essaye de se rassurer comme quand on ose lever le doigt. Toute la journée, toute la semaine, des « mains levées » virtuelles. Et des mots de parents. Et on explose les statistiques. On se rend compte qu’en réalité on a pas « 7 classes, 4 niveaux », mais l’équivalent d’environ 250 élèves. Qu’on multiplie par le nombre de parents, beaux-parents, situations à problèmes, bugs informatiques, pièces jointes qui veulent pas, demandes d’approfondissement. Détresses dont d’habitude on peut se protéger, qui #encemoment campent dans nos foyers. Passe-passe la charge émotionnelle, renvoi de responsabilité d’un maillon à l’autre de la chaîne. Arrêtons là pour cette fois. On pourrait croire que nous poussons une longue plainte pudiquement cachée sous la morsure cinglante de notre humour ravageur (sic). Ce genre de choses.

*

L’Ecole oriente le travail, le canalise. Met sur pause, enferme dans des classes et dans des heures de cours ce que la situation actuelle n’empêche plus : un flot infini de tâches, toutes plus dématérialisées les unes que les autres. Les cases des emplois du Temps, par ailleurs discutables, sont autant de parois à l’étanchéité salvatrice pour nos raisons. #encemoment on en manque, d’étanche, de coupure, de portes solides derrière lesquelles souffler. Ce n’est pas la solution, mais on en jetterait bien la clé.

Asma Bournezeau

[Bande-son de ceci : « Le temps des cerises» par Nana Mouskouri]

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*AFK : l’occasion d’échanger du savoir avec une jeune caboche.