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« Encore un blog de prof !? ».

Peut-être bien. Encore que je préfère le mot enseignante. Et pourquoi donc ? Une « prof » professe, une enseignante virgule trois petits points. Nous aurons complété sans problème.

Et puis les enseignant.e.s, ici ou ailleurs, auraient « autre chose à faire qu’à gloser sur les réseaux ces temps-ci ». Alors rédiger des billets d’humour pour parler de « tout ce qu’on a de commun… », merci bien. 

Sauf que. 

Sauf que je pense à tous ceux et celles que la situation sanitaire et scolaire renverse. Que je crois ne pas être la seule à avoir le cerveau qui bouillonne. Encore plus que d’habitude.

Qui bouillonne perso et pro tout à la fois. Je pense à nous. « Je » suis un peu de « nous ».

Donc je suis un peu tous les cas à la fois, imaginons. Je suis moi et mes collègues, face à tout ce grand commun qu’on a comme métier. (Non, pas « humains de métier », non). Notre métier, c’est pour que dans ton quartier, dans ta ville, ton bourg ou ta banlieue chic, les petits-moyens-grands apprennent en même temps. Les même choses. Donc c’est se voir tous les jours pour recevoir des savoirs en commun. 

On peut se mettre d’accord là-dessus.

Et d’un coup on ne se verrait plus ! Plus en vrai. Plus de quotidien « bonjour maîtresse-bonjour les enfants ». Plus de « sortez-vos-cahiers que j’y jette un oeil ». 

Renversant.

Je suis parent. Nous on travaille, souvent, pas toujours. A l’intérieur, à l’extérieur. Et on cumule plusieurs journées. Tiens, je suis « on ».

On a oublié l’école, on a jamais trop su, élèves, avec le français,  les maths, l’EPS, les Sciences Nat’…

Lire +  Tout ce qu'on a de commun... #2 - Les emplois du temps

Je parle le français depuis pas longtemps. Avec un accent. J’en ai trois. Je m’en sors pas. « Restez chez vous ».

Je suis élève et les copines me manquent. Les copains aussi. Les autres adultes aussi, pas tous. Les adultes s’inquiètent. Je m’inquiète aussi. Je ne sais pas (encore) comment le montrer, ou arrêter.

J’ai lu, nous avons lu depuis quelques années que la société est fragmentée. Les territoires fracturés. En France, dans le monde, dans ma rue. Ça fait beaucoup. 

Là, on est beaucoup « dedans ». Alors qu’en vrai on serait bien à être beaucoup dehors, dans la rue. Elle est à nous après tout. Avant tout même.

Voilà un premier jet pour parler de « nous » les profs (ok c’est plus court). Nous le « corps enseignant ». Nous « l’Ecole » c’est peut-être mieux. Comme ça c’est un vrai « nous », avec tout le monde qui y va, que ça intéresse vraiment, des savoirs en commun, pour être libres. Bien dans nos vies, bien dans nos rues.

*

C’est vrai que je crois que bon, gloser n’a pas attendu les pandémies. Ca fait un bout que « Le Mammouth » écrit son journal intime et crie en majuscule sa détresse croissante. Dans des petites fenêtres ou sur de grandes banderoles.

C’est pas près de s’arrêter. Trop de commun à se refiler.

Asma Bournezeau

[Bande-son de ceci : « Nous qui n’arrivons plus à dire nous » par Michel Cloup Duo]