Nous sommes le jeudi 31 janvier 2019, il est 23h30, une centaine d’habitant·e·s de la ville de Nantes sont réunis dans la salle de la Cigarière. L’ambiance est encore chaude des discussions intenses et fructueuses qui animèrent la soirée. Les esprits sont euphoriques, les visages se font les figures de l’enthousiasme de ces citoyen·ne·s qui renouent avec leur pouvoir d’habitants de la Cité. Alors que se clôt le dernier tour de parole, une voix lance avec vigueur « ce soir était le premier jour du reste de notre ville ! ». Déjà nous le savons, cette soirée marque le début d’un nouveau récit, de notre récit commun. Enfin nous l’affirmons, la commune n’est pas morte.
Le printemps revient toujours. On peut désespérer de la lenteur des saisons, nous pouvons constater avec effroi cet hiver qui n’en finit pas. Avouons-le, cet hiver de l’histoire, les abeilles qui s’endorment, les coquelicots qui suffoquent, les peuples qui sombrent, les démocraties qui s’éteignent. Nous les connaissons, nous les voyons, ces maux de la modernité. Chaque jour nous sommes confrontés aux injustices d’un système économique excluant les uns et marchandisant les autres. Nous la connaissons cette machine qui nous réduit à l’état d’individus vulnérables et sans but. Dès lors que l’Homme crut se libérer en se déclarant au-dessus de la Nature il ne fit que se rendre aveugle à sa place dans un prodigieux écosystème. Inutile de suivre les affres internationales pour constater cette tragédie de la modernité. Nous pouvons la constater jusque dans notre rue quand d’innocents démunis dorment sur le froid trottoir à l’ombre de titanesques tours qui ne cessent de sortir de terre aux bénéfices de quelques-uns.
L’hiver ne dure jamais, le peuple vit toujours, le printemps revient, la commune renaît.
Nous vivons cette fin de l’hiver avec enthousiasme. Partout en France un peuple s’éveille, il n’est plus temps de s’accommoder de ce qui nous domine, il n’est plus temps de négocier avec l’ordre injuste qui règne. Nous reprenons notre destin en main. Tout ce qui fait l’ordre actuel des choses est aujourd’hui questionnable, Nous recommençons à faire de la politique, nous ne nous contentons plus de consommer la ville, d’abandonner nos vies au marché.
Nous subissions le culte du « en même temps » ou du « ni-ni », la voie de la raison technocratique. Nous avons appris à ne plus débattre, à ne plus nous opposer et à vivre dans l’illusion du consensus. Nous en avons oublié les clivages pourtant bien réels qui traversent notre société, nous avons oublié que le bien de quelques-uns ne ruissellera jamais pour faire le bien de tou·te·s.
Ce jeudi 31 janvier nous avons accompli quelque chose. Démocratie, alimentation, jeu, culture, (a)ménagement urbain, économie, discriminations, etc. Tous les enjeux du réel, des réels, sont désormais sujets à ouverture vers d’autres possibles. La politique ne peut plus être la propriété des experts et des sachants, vivre dans cette ville nous donne le droit d’y décider. Agir dans cette ville nous incombe aussi le devoir de la comprendre et, en définitive, de nous comprendre.
Nous comprendre, c’est appréhender le vécu de nos semblables, c’est partager la douleur des exclu·e·s, éprouver la honte des pauvres, ressentir l’exclusion des racisé·e·s, endurer la peur des femmes, comprendre les combats quotidiens de toutes et tous. Comprendre la commune c’est mesurer l’ampleur de ce fabuleux corps collectif. C’est sentir la grandeur de la communauté politique humaine qu’est la ville, c’est en comprendre les rouages et en ressentir les articulations.
Ce 31 janvier 2019, par la rencontre, nous sommes saisis du vécu de nos semblables, par la discussion, nous sommes élevés à une conscience collective, par l’enquête nous sommes ouverts à la compréhension de la ville et par la délibération nous sommes pétris par la force du politique.
L’ère qui s’ouvre doit être celle des communs, de nos réalisations collectives et démocratiques, de la commune, ce corps collectif qu’est notre ville, et du commun, cet esprit qui nous anime, cette aspiration à ne plus être des individus en concurrence mais des voisin·e·s qui coopèrent, à ne plus être isolé dans la jungle de l’universel marché mais être unis dans la bienveillance et la force du commun.
Nantes en commun·e·s porte cette aspiration. Construire le commun, nous ressaisir de la ville, des choses simples de notre quotidien, des aspirations à vivre vraiment. La commune n’est pas morte car elle revit désormais dans nos préoccupations.
Enquêtons, cherchons, discutons, partageons. Les choses de la vie, nous devons refuser d’en être les spectateurs, et nous sentir légitimes à les saisir. Nourrir la ville et tou·te·s ses habitant·e·s, ménager nos rues, pour toutes celles et ceux qui les font vivre, discuter ensemble du sort du bâtiment d’à-côté. Ce sont des questions simples, sur des choses simples. Simples et grandes par leurs conséquences. Grandes parce que simples, parce qu’elles nous concernent. Nous ne rêvons pas de start-up city mais de bons repas dans une ville accueillante.
L’esprit de la commune survivra tant qu’on s’en rappellera. La commune n’est pas morte, et peut-être même que, depuis quelques jours, elle vit un peu plus dans le cœur des Nantais·e·s.
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