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Vendredi 4 octobre, le conseil métropolitain va voter la rallonge du budget d’étude préalable de l’arbre aux Hérons. 1,5 millions d’euros supplémentaire, s’ajoutant aux 3 millions déjà investis. Cette facture supplémentaire vient s’ajouter à un budget total que l’un des créateurs, Pierre Oréfice, s’annonce incapable de chiffrer pour l’instant. Au moins 35 millions, sans doute beaucoup plus. L’étude de faisabilité programmée pour juin 2019 devait nous en dire plus, mais il semble qu’il faille “construire une héron et son bras mécanique” pour en savoir plus. 

L’arbre aux Hérons, c’est ce grand projet porté par la mairie de Nantes en partenariat avec l’association La machine, gestionnaire des Machines de Lilles, et incarnée par Pierre Orefice et François Delarozière. Présenté comme un projet artistique de grande envergure, la structure en métal qui devrait mesurer 35 mètres de haut permettra aux visiteurs de grimper dans les branches et de monter à bord de hérons volant autour de l’arbre. Inspiré de l’imaginaire de Jules Verne, l’arbre doit devenir l’attraction centrale de Nantes, attirant des touristes du monde entier. 

Projet artistique fantastique et énormes retombées économiques pour la ville. Qui pourrait être contre ? Cette création issue d’une vision qui flatte nos imaginaires et notre amour du fantastique est une réalisation ambitieuse qui entend faire rayonner mondialement la ville de Nantes ! Celui qui s’oppose à un tel projet ne peut être qu’un râleur compulsif, incapable de voir la magie du monde avec les yeux d’un enfant. Et puis comment pourrait-on s’opposer au fait d’attirer des touristes qui vont dépenser chez nous et donc permettre de créer des emplois ?  Le fait est que ce projet est beau, mais surtout très bien mis en valeur par la mairie. 

Pourtant, ce titanesque projet d’Arbre aux hérons fait couler beaucoup d’encre. Le collectif PUMA (Pour Une Métropole Appropriée, Aquatique, Autogérée, Assez chouette, Amoureuse, A compléter, etc) a prit part à la fronde. Le 1er mai 2019, PUMA a publié un livre écrit et soutenu par les habitant.e.s de Chantenay, et destiné aux habitant.e.s de toutes les zones que l’on urbanise sans leur consentement. Carrière Miséry, destruction de la ville sauvage nous raconte l’histoire de cette carrière et de son jardin sauvage, aujourd’hui disparu et remplacé par le fameux Jardin extraordinaire où doit se construire l’arbre mécanique. Ce livre propose de faire un pas de côté et d’analyser la rhétorique parfaitement ficelée de la mairie.

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Tout d’abord l’arbre aux hérons s’inscrit dans un projet politique porté par la ville de Nantes, celui de l’attractivité territoriale. Ce projet nous parle de métropoles en concurrence à l’échelle européenne. Il s’imagine les villes comme des planètes qui exercent une force gravitationnelle sur tout ce qui les entourent. Ainsi l’objectif est-il d’être la plus grosse possible pour peser. Et de ce poids, la ville attirera à elle ce qu’elle souhaite : concrètement, il s’agit des capitaux, de l’investissement, des gens éduqués qui peuvent travailler dans des secteurs à haute valeur ajoutée. Mais cette force d’attractivité est concurrentielle : aspirer ou être aspiré. Il s’agit d’un concours à somme nulle où le gagnant rafle la mise. Nantes veut se positionner sur l’échiquier européen : capitale de l’alimentation, capitale du tourisme, etc. Et pour ça il faut des images fortes, des projets marquants créant l’identité de la marque Nantes©.

Ce parc d’attraction, ou plutôt d’attractivité, n’est pas destiné aux habitant.e.s actuels de la ville. Il ne s’agit pas d’un lieu de vie locale. Ses prix sont pensés pour des touristes qui ne viendront qu’une fois, suffisant pour rentabiliser le budget investi, couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien. Difficile dans ces conditions de venir y passer ses dimanches. Cette recherche du tourisme de masse, inséré dans la compétition internationale des villes, pose question : nous constatons que dans les villes mondialisées, le tourisme devient l’ennemi d’une vie locale riche. Celle-ci se replie sur elle-même ou disparaît pendant que les spécialités locales sont marchandisées. Nous pensons à des exemples comme Barcelone, Madrid ou même Paris. La ville est fracturée entre des zones dynamiques principalement dédiées au tourisme, et des quartiers résidentiels. Les retombées économiques du tourisme valent-elles ce coût social ?

Si l’on resserre la focale sur le quartier de Chantenay à Nantes, où se trouve la carrière Miséry, les transformations voulues par la majorité actuelle se révèlent, en même temps que le projet politique qu’elle porte. L’Arbre aux Hérons s’inscrit dans un plan d’aménagement pensé à l’échelle de tout le Bas-Chantenay. Une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) a été validée en 2019 par la métropole avec une volonté de développer la zone pour le commerce et le secteur tertiaire. La métropole cherche aussi de l’espace pour réaliser ses objectifs de 7000 nouveaux logements construits par an pour accueillir la population attirée dont nous parlions précédemment. En témoigne le projet de 400 logements à construire sur la zone du Bois Hardy, lieu approprié par ses habitants dans un projet de jardin partagé, écrin de verdure à proximité des zones industrielles. Le quartier de Chantenay possède une histoire politique très riche, de par son développement comme village ouvrier, où la vie locale était dynamique, et les liens tissés de longue date entre habitants perdurent encore en partie aujourd’hui. Ces projets menés par la métropole, ont du mal à prendre en compte cet existant, et encore plus à interagir avec les habitants concernés. De la concertation mené autour du Bas-Chantenay, la métropole n’affiche dans ses rapports qu’une seule page, précisant la méthode engagée et quelques mots vagues sur l’envie de vivre bien des habitant.e.s et leurs aspirations écologiques. 

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Le livre que nous propose le collectif PUMA vient nous éclaire d’une évidence : ce n’est pas parce qu’un lieu est considéré comme vide par nos aménageurs qu’il n’est pas utilisé ! Pour annoncer le Jardin extraordinaire, la maire de Nantes a parler dans son discours de la découverte, ou de la redécouverte, de ce lieu oublié. Comme un Christophe Colomb de la ville, Johanna Rolland, et derrière elle Pierre Oréfice et François Delarozière, venaientt de découvrir sa terre promise. Pourtant, une vie très riche existait déjà dans la friche. À partir d’un recueil de paroles d’habitants, on se rend compte de multiples pratiques quotidiennes ont surgi dans ce lieu en friche. Une vie quotidienne informelle, autochtone, non mesurable, non quantifiable, de celle qui ne révèle ses secrets que si l’on accepte de prendre le temps de l’observer. De nombreux collectifs avaient travaillé pour proposer un projet adapté à cette vie existante. On se souviendra par exemple du collectif Fertile et de son idée de friche évolutive et accueillante. Aucun de ces projets n’a été retenu. 

Voilà le désastre d’une telle politique d’aménagement : on détruit des usages préexistants pour en former de nouveaux, des cadrés, de ceux qui rentrent dans les chiffres et apportent quelque chose de quantifiable, de visible, de communicable. 

Ce n’est que la première aberration d’un tel projet que met en lumière cet ouvrage. La seconde est écologique. Le projet détruit une friche urbaine de 3,5 hectares, constituée par 30 ans de repousse. Les friches urbaines, de leur apparente inutilité sauvage, sont des lieux de biodiversité immense. La faune et la flore y trouvent des espaces adaptables, des refuges, des lieux où elles peuvent se développer sans contrôle, sans avoir à justifier d’une utilité directe pour avoir droit de vivre. Cette friche sera détruite pour y planter le jardin de l’arbre aux hérons. Un jardin où chaque essence d’arbre, chaque emplacement sera soigneusement sélectionné pour répondre à une fonction, à une esthétique. Chaque parcelle végétale sera assignée à ne pas déborder sous peine d’éradication, à respecter les tracés de cheminement. Les jardins à la française comme nous les appelons. La ville de Nantes développe au travers ce type de jardin “la nature en ville”, mais une nature qui n’est plus un écosystème vivant, qui devient un outil fait pour l’être humain dans une perspective de très court-terme. Ce jardin a ouvert il y a quelques jours, le samedi 29 septembre, parfaitement inséré dans le planning électoral.

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L’Arbre aux Hérons défend ce mode de vie que nous rejetons : une écologie artificielle, une créativité marchandisée, celui d’un néolibéralisme qui crée un marché concurrentiel des villes, où chaque ville devient une entité entrepreneuriale.

La livre du Collectif PUMA nous propose une autre approche, celle d’un urbanisme à la fois sensible et théorique. Il parvient à nous montrer la vie, garder en souvenir ce que nous effaçons avec toutes les émotions qui l’accompagne. Et il fait cela avec un appui théorique profond, repolitisant les questions aujourd’hui seulement traitées comme des questions techniques. Un bel exemple pour penser notre rapport à la ville.